Gouvernement ouvert : la France met l'accent sur le numérique et la contribution citoyenne
La France encourage les alliances entre l’administration et la société civile en misant sur les technologies numériques, dont les approches sont déjà mises en œuvre avec l’open data, pour bâtir un gouvernement ouvert. Cette volonté se traduit dans plusieurs engagements de son plan d’action national pour la période 2015-2017, notamment en matière de coproduction législative.
C’est un retour aux sources, dans la ville où l’impulsion a été donnée il y a plus de deux siècles. En décembre prochain, Paris accueillera le sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO, en anglais Open Government Partnership, dont la France aura pris la présidence quelques semaines plus tôt.
« Le concept de gouvernement ouvert s’inspire de trois articles inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 », rappelle Laure Lucchesi, directrice de la mission Etalab, la structure en charge des données ouvertes et du gouvernement ouvert au sein du SGMAP, le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique. « Le numérique ouvre aujourd’hui des possibilités nouvelles pour appliquer concrètement ces principes. »
Un héritage de 1789
Les principes de redevabilité, de transparence et de participation énoncés dans la charte du PGO trouvent leur source dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
- Art. 6. La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation.
- Art. 14. Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
- Art. 15. La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.
Quatre principes déclinés dans des plans d’actions nationaux
Les 69 Etats membres du PGO adhèrent à quatre grands principes : la transparence de l’action publique, la participation citoyenne, l’intégrité de l’administration et l’utilisation des technologies numériques. Ils s’engagent, en outre, à les traduire dans des plans d’actions établis pour une durée de deux ans.
Les dosages entre ces principes et leurs traductions en termes d’engagements diffèrent significativement en fonction des cultures des pays, de leurs priorités et de leur niveau de maturité technologique. Le programme de la Côte d’Ivoire, qui vient de rejoindre le PGO, diffère de celui des Etats-Unis, du Brésil ou de la Norvège. « Avec son plan d’action 2015-2017, la France affirme sa volonté d’être à l’avant-garde en matière de gouvernement ouvert », déclare Laure de la Bretèche, secrétaire générale du SGMAP.
La collaboration appliquée à la production législative
Parmi les 26 engagements français, cinq ciblent la contribution citoyenne, en particulier dans le domaine législatif. La large consultation menée autour du projet de loi pour une République numérique est emblématique d’une collaboration fructueuse entre l’administration et la société civile.
« Cette démarche démontre comment un processus métier propre à l’action publique, celui de l’élaboration d’une loi, a été en plusieurs endroits - dès la définition des thèmes à traiter, lors de la rédaction des articles, et jusque dans le débat parlementaire - nourri, augmenté, enrichi de la contribution des citoyens sous différentes formes », argumente la directrice d’Etalab.
Et les formes de participation des citoyens à la décision publique, justement, se multiplient. Le SGMAP a créé récemment les ateliers citoyens, un nouveau dispositif permettant de recueillir l’avis de Français sur une question (sociétale, polémique, à fort enjeu…) qui les concerne directement.
Les initiatives de coproduction législative ne sont pas propres à la France, même si celle-ci est en pointe dans le domaine. Le Brésil a organisé un large débat public impliquant le pouvoir exécutif, le parlement et la société civile, qui s’est concrétisé en avril 2014 par l’adoption d’une constitution Internet (Marco civil da internet).
De nouvelles alliances entre l’administration et la société civile
« La vision française du gouvernement ouvert repose sur de nouvelles alliances entre l’administration et la société civile », souligne Laure Lucchesi. Le PGO les encourage, la France a commencé à les concrétiser. La base adresse nationale, fruit d’une collaboration entre la mission Etalab, l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), le groupe La Poste et l’association OpenStreetMap France, est un bel exemple de réalisation, potentiellement transposable dans d’autres domaines.
La place accordée à la participation citoyenne est un marqueur du modèle français de gouvernement ouvert. Tous les Etats membres du PGO ne lui accordent pas la même importance. Le Royaume-Uni, par exemple, se focalise davantage sur la transparence.
L’open data porte un mode de transformation
La vision collaborative que porte la France se double d’un fort accent numérique, plus prononcé que dans d’autres pays. « Ce n’est pas seulement une affaire de technologies et d’outils, précise Laure Lucchesi (photo). Les méthodes qui accompagnent l’ouverture des données, le dialogue en continu, l’échange avec les écosystèmes, comptent tout autant, sinon davantage. » L’expérience et l’expertise accumulées par l’administration française en matière d’ouverture des données publiques est aujourd’hui mise au profit d’une gouvernance ouverte. « Ce qui a été réalisé avec l’open data ne se résume pas à mettre à disposition des données publiques, enchaîne la directrice d’Etalab. La démarche porte un mode de transformation axé sur l’ouverture, la transparence et l’engagement de la société civile, qui s’applique à l’ensemble de l’action publique. »
Donner du pouvoir d’agir aux citoyens – l’un des crédos français – implique de mettre à disposition les ressources nécessaires pour challenger l’action publique. Le gouvernement ouvert se nourrit de données ouvertes. En retour, l’implication des citoyens dans des processus dès l’amont, par exemple législatifs, peut contribuer à lever des freins à l’ouverture de données, mais également d’algorithmes ou de codes source, comme c’est arrivé dernièrement avec l’ouverture du calculateur d’impôt de Bercy.
Vers une démocratie pilotée par la donnée
Dans une logique de gouvernement ouvert, l’action publique gagnerait à s’appuyer davantage sur des données pour améliorer son fonctionnement. Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d’information et de communication de l’État à la DINSIC, une direction du SGMAP, en est convaincu à condition de respecter un préalable. « Les stratégies pilotées par la donnée doivent s’inscrire dans un projet authentiquement collectif, dans lequel le citoyen est pleinement associé », insiste-t-il.
Le suivi du premier plan d’action français fera l’objet d’une évaluation à mi-parcours cet été. Les huit pays fondateurs du PGO (Afrique du Sud, Brésil, États-Unis, Indonésie, Mexique, Norvège, Philippines et Royaume-Uni) en sont, pour leur part, à leur deuxième ou troisième version. Partie avec un temps de retard, la France s’est engagée avec ambition dans le PGO et y a vite pris des responsabilités croissantes. Par rapport à d’autres pays où l’Etat est plus décentralisé, l’ouverture de l’action publique en France peut permettre d’opérer une mutation de grande ampleur.