L’open data nourrit la participation citoyenne et vice-versa
La société civile s’empare des données publiques. Elle se comporte de plus en plus en « consommateur » éclairé et exigeant. Elle réclame de nouveaux jeux de données à l’État, commente ceux qui sont mis à disposition sur data.gouv.fr, en produit elle-même qu’elle partage à son tour sur la plateforme, et multiplie les réutilisations. Son implication dans l’action citoyenne contribue à l’amélioration de la qualité des données et à la transparence de l’action publique. Réciproquement, l’open data lui confère de nouveaux moyens d’agir et stimule la démocratie.
Paris 16e arrondissement, un conseil de quartier. Des habitants s’interrogent sur l’utilité de travaux de voirie. La base des accidents corporels de la circulation, que le ministère de l’Intérieur met à disposition sur data.gouv.fr, leur fournit des arguments sur le caractère accidentogène des rues concernées par les travaux. C’est un des nombreux exemples d’appropriation de données publiques par les citoyens. Un phénomène qui prend de l’ampleur et implique un public de plus en plus varié.
Si les créateurs de startup restent des consommateurs privilégiés des données publiques, de même que les chercheurs ou l’administration elle-même, les citoyens engagés dans des causes locales, nationales voire internationales manifestent un intérêt croissant. « La donnée a l’avantage d’être objective et factuelle », insiste Romain Talès, responsable du recensement des données publiques au sein d’Etalab, la mission du SGMAP en charge des données ouvertes et du Gouvernement ouvert. Elle permet d’étayer des points de vue lors de débats contradictoires. La France s’est d’ailleurs engagée, dans son plan d’action national pour une action publique transparente et collaborative, à renforcer l’ouverture et la circulation des données, considérées comme un ressort de vitalité démocratique.
De consommateur à producteur de données
En même temps qu’elle s’implique plus largement, la société civile exprime de nouvelles exigences. Elle se tourne notamment vers l’administrateur général des données (AGD), qui se place en facilitateur de la relation entre citoyen et administration. Entre juin et décembre derniers, l’AGD a reçu treize saisines concernant la circulation des données, dont huit provenant de particuliers, pour la plupart porteurs de projets innovants (lire le bilan Les premières saisines de l’AGD : où en est-on ? ). Un chiffre modeste, mais la procédure, récente - elle est accessible depuis mi-2015 via un formulaire en ligne, est encore méconnue. Son impact devrait aller grandissant, car elle a le mérite d’officialiser les demandes d’ouverture de nouveaux jeux de données faites à l’Etat.
Autre marqueur d’une maturité croissante de la société civile en la matière : celle-ci devient à son tour producteur de données. C’est le cas bien évidemment de startups citoyennes, mais aussi d’associations ayant pignon sur rue, telle la Croix-Rouge ou 60 millions de consommateurs.
Naissance d’un écosystème « Civic Tech »
Cette appropriation des données publiques françaises par la société remonte à l’année 2013, date à laquelle la plateforme data.gouv.fr a été refondue sur un mode collaboratif. « Elle a été coconstruite avec des usagers, qui ont fait remonter le besoin de publier eux-mêmes des données, rappelle Claire-Marie Foulquier-Gazagnes, en charge de la politique de gouvernement ouvert au sein d’Etalab. Des forums ont été ajoutés pour encourager les débats entre les producteurs d’information et les citoyens. Les réutilisations de données, mises à disposition gratuitement et en licence ouverte, sont favorisées et largement mises en avant. »
A l’instar du mouvement Civic Tech aux Etats-Unis émerge en France un écosystème de startups et d’associations animées par des objectifs sociaux. On peut citer des acteurs historiques, comme Regards citoyens ou Open Knowledge France, mais aussi MakeSense, une communauté au service des entrepreneurs sociaux, Voxe.org, un outil de comparaison de programmes électoraux, ou encore le projet Bénévole at home, lauréat du concours Dataconnexions 6. Ce service de cartographie permet de géolocaliser des « anges-gardiens », citoyens solidaires qui proposent leur aide près de chez eux, et les met en relation avec des personnes dans le besoin.
Une dynamique vertueuse
La consultation du projet de loi pour une République numérique fournit un bel exemple de dynamique vertueuse entre participation citoyenne et open data. Quelque 8 500 contributions et 150 000 votes sur les articles ont été déposés par plus de 21 000 participants. Les données de consultation, disponibles en ligne, ont fait l’objet d’un hackathon en fin d’année dernière. Des chercheurs ont ainsi pu mettre en évidence les jeux d’acteurs et les actions de lobbying.
Le ministère des Affaires étrangères et du développement international joue également la carte de la transparence et de la contribution citoyenne. Les données relatives aux projets d’aide à 16 pays prioritaires sont publiées sur une plateforme dédiée et les citoyens sont invités à réagir en ligne pour commenter les réalisations qui sont menées sur place, leur niveau d’avancement… Un bon moyen d’améliorer la qualité des données, qui gagnent à être partagées avec le plus grand nombre.