TECH.GOUV : « Tous les éléments sont réunis pour accélérer la transformation numérique de l’État »
En avril dernier, l’État dévoilait TECH.GOUV, son nouveau programme pour accélérer la transformation du service public par le numérique. Une stratégie, assortie d’une feuille de route sur trois ans, pilotée par la direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (DINSIC). Nadi Bou Hanna, son directeur depuis décembre 2018, en détaille la genèse, les grands axes et projets phares.
À l’aune de ces 6 mois passés à la tête de la DINSIC, quels constats dressez-vous ?
Nadi Bou Hanna - Ces quelques mois m’ont conforté dans l’idée que j’avais d’une très forte attente de clarification de l’action de l’État en matière de numérique, à la fois de la part de nos parties prenantes au sein des ministères, à tous les niveaux, mais également en interne à la DINSIC.
Ces 6 mois ont aussi renforcé ma conviction que nous disposons, au sein de l’État et de la DINSIC en particulier, d’une matière première de qualité - c’est-à-dire une pratique des projets, des compétences, une culture du travail en commun et de l’innovation - sur laquelle nous pouvons réellement nous appuyer pour construire une stratégie et surtout la mettre en œuvre. Tous les éléments sont réunis pour accélérer la transformation numérique de l’État et plus largement du service public.
Du côté des Français, quelles sont les attentes vis-à-vis des services publics numériques ?
NBH - Dans les restitutions du Grand débat en matière de numérique, plusieurs idées, complémentaires, m’ont marqué : nos concitoyens ont une attente forte de numérique dans le service public, mais un numérique pour tous, un numérique qui n’isole pas, qui aide et préserve le contact humain. Le secrétaire d’État au Numérique Cédric O en a fait une priorité. Si l’on parvient à concilier tout cela – numérique, inclusion, proximité et lien humain – le service public de demain sera un service public de qualité, et apprécié. Le 3e comité interministériel de la transformation publique (CITP) qui s’est tenu le 20 juin 2019, sous la présidence du Premier ministre, a d’ailleurs rappelé cet objectif de construire un service public numérique pour tout et pour tous.
Au-delà du citoyen, un autre acteur doit être soutenu : l’agent public. Le numérique doit être utilisé non pas pour le remplacer mais au contraire pour mieux l’outiller, lui apporter l’information utile à la prise de décision, et lui donner la possibilité d’être davantage au service des citoyens. Cela nécessitera en particulier de revoir les pratiques managériales au sein de l’État.
L’État vient de lancer un nouveau programme, TECH.GOUV, destiné justement à accélérer la transformation numérique du service public. Quelles en sont les grandes orientations ?
NBH - Dans la lignée des attentes que j’évoquais, TECH.GOUV répond à six enjeux.
Le premier est évident : simplifier la vie des gens. Le deuxième enjeu consiste à réduire les fractures territoriales et administratives qui ont pu se construire au fil du temps.
En troisième lieu, il s’agit de simplifier aussi le quotidien des agents, leurs méthodes de travail et de mettre en place des modes de management à jour et conformes à notre époque pour pouvoir attirer les bons profils au sein de l’État.
Quatrième enjeu : améliorer l’autonomie de L’État en matière de numérique afin de dépendre moins des grands acteurs internationaux – éditeurs, plateformes, opérateurs – et ainsi maîtriser davantage notre destin dans le domaine. Cela, on y parviendra – c’est l’objet du cinquième enjeu – en étant capable au sein de l’État de constituer autour de nous un écosystème d’acteurs de confiance, des PME, des acteurs du numérique, des associations, qui vont relayer nos actions, nos projets, mais aussi construire des services au public en s’appuyant par exemple sur les données ou sur les API (interfaces de programmation) que l’on va mettre à leur disposition.
Sixième et dernier enjeu, enfin, réaliser des économies et contribuer à la maîtrise des dépenses publiques, afin de pouvoir financer les investissements ultérieurs.
Quelle est la philosophie derrière TECH.GOUV ?
NBH - Elle se résume en un principe phare : mettre le bénéficiaire au centre, que ce soit le citoyen ou l’agent public. Toute entreprise aujourd’hui met son client au centre de son action, l’administration avait un peu de retard sur ce changement de paradigme. Trop souvent, comme dans la plupart des grandes organisations monopolistiques, on se focalise sur la vision du producteur, les contraintes, le règlementaire. Tout doit désormais être construit autour de la valeur ajoutée que l’on est capable d’apporter collectivement à l’usager, citoyen ou agent.
Comment et avec qui s’est construit ce programme ?
NBH - Le programme a été maturé pendant 4 mois avec les DSI et les secrétaires généraux des ministères, les cabinets ministériels et au sein de la DINSIC. Ce haut portage, au niveau des SG sous présidence du secrétaire général du gouvernement, est un signal fort que le numérique n’est pas un sujet de moyens et de ressources, mais bien un sujet de fonctionnement de l’administration, d’organisation, de méthodes de travail, de management et même largement de politique publique.
Et bien sûr, cette stratégie numérique de l’État ne peut se faire sans le portage politique, avec en première ligne le secrétaire d’État au Numérique, mais aussi le ministre de l’Action et des Comptes publics, le cabinet du Premier ministre, et les conseillers numériques du président de la République.
En quoi TECH.GOUV va-t-il permettre une accélération ?
NBH - La clé, c’est d’avoir fait des choix, de ne pas se disperser. Nous allons concentrer notre action collective sur une sélection de 35 projets prioritaires, rassemblés dans une feuille de route résolument pragmatique. Et cela sur un calendrier court puisqu’ils ont tous vocation à être produits dans les 3 années à venir.
Mon expérience au sein d’administrations et en tant qu’entrepreneur m’en a aussi convaincu : pour réussir cette accélération, nous devons mettre en place une gouvernance et des méthodes de management adaptées, qui fluidifient la prise de décision et laissent une grande liberté de manœuvre aux porteurs des projets. Il faut également accepter de prendre des risques et ne pas chercher à viser le zéro défaut, sinon vous ne faites plus rien, ou vous le faites bien trop tard.
Quels sont pour vous les projets phares de cette feuille de route ?
NBH - Je citerais tout d’abord l’identité numérique. La France a encore du retard par rapport à la plupart des nations, et c’est un domaine essentiel pour développer la confiance dans les services publics numériques. FranceConnect, qui permet de se connecter avec un compte existant à un grand nombre de services en ligne, vient de dépasser les 10 millions d’utilisateurs ; nous allons intensifier sa généralisation, l’étendre aux aidants et déployer son pendant dédié aux agents. Et, en parallèle, développer une carte nationale d’identité électronique.
Autre dispositif emblématique : Dites-le-nous une fois. Le principe est simple : si l’État, dans l’une de ses branches, possède des informations, il est anormal de demander au citoyen de jouer le rôle de postier entre deux services administratifs ; l’échange doit se faire directement entre les services publics. Nous mettrons en place de nouveaux outils – plateforme, API, facilitations juridiques – pour accélérer le partage d’information entre les services publics, tout en assurant aux usagers qu’ils gardent le contrôle de leurs données et de la manière dont elles sont partagées.
Nous souhaitons aussi aller plus loin encore dans l’ouverture de ponts entre le public et le privé, amorcée depuis 3 ans avec les Entrepreneurs d’Intérêt Général et récemment les Designers d’Intérêt Général. L’approche consiste à identifier des défis qui nécessitent des compétences faiblement mobilisables au sein de l’État, des compétences de data scientists, de designers par exemple, que l’on va chercher dans les associations, les entreprises, des freelances aussi, et qui, le temps de quelques mois, vont contribuer à un projet d’intérêt commun.
Tous ces projets, aujourd’hui embryonnaires, nous allons les accélérer, les passer à l’échelle, les généraliser.
Je citerais enfin la généralisation de la mesure de la qualité des services numériques, afin d’identifier ceux qui doivent être améliorés en priorité. À ce titre, le secrétaire d’État chargé du Numérique a chargé la DINSIC de concevoir l’observatoire de la qualité des services publics numériques, dont la sortie a été annoncée dans le cadre du 3e CITP. Ce tableau de bord, qui sera mis à jour tous les trimestres, mesure l’avancée de la dématérialisation des 250 démarches phares de l’État et leur performance au regard de 5 critères qualité. Parmi ces critères : l’indice de satisfaction usagers recueilli à la fin des démarches en ligne, grâce au dispositif MonAvis, lancé en même temps que l’observatoire et piloté également par la DINSIC.
Il est également question dans TECH.GOUV de labellisation de solutions numériques. En quoi cela consiste ?
NBH - Aujourd’hui pour répondre à un besoin, il y a en général profusion de solutions, avec des niveaux de qualité variables, et surtout plus ou moins respectueuses des bonnes pratiques en matière de réversibilité, d’hébergement des données, de protection des libertés individuelles.
L’enjeu sera justement de définir les règles du jeu, les bonnes pratiques, les référentiels, auxquels les produits et services doivent se conformer pour prétendre à la labellisation et ainsi figurer dans un catalogue. Solutions sur étagère, logiciels libres ou sous licence, briques techniques… Ce qui peut être labellisé est assez vaste et il conviendra de retenir des domaines pour lesquels l’attente est forte.
Qui va mettre en œuvre tous ces projets ?
NBH - TECH.GOUV est construit comme un programme contributif, en mode projet. Chaque ministère, selon les capacités, les ressources et les expertises dont il dispose, a alloué des contributeurs identifiés à ces projets. L’ensemble des personnes qui vont y participer n’ont pas vocation à être intégrées dans un organigramme. Beaucoup seront des contributeurs occasionnels, qui, en complément d’une partie de leur activité, vont contribuer à des projets TECH.GOUV aussi bien au sein de la DINSIC qu’au sein des ministères.
Sur les 35 projets, 9 sont portés directement par un ministère, comme la carte nationale d’identité électronique par le ministère de l’Intérieur ou le dossier numérique de l’agent par les ministères financiers. Les autres seront animés par la DINSIC.
Dans quelle mesure les collectivités vont-elles être associées à TECH.GOUV et en bénéficier ?
NBH - Les collectivités vont directement bénéficier d’un certain nombre de chantiers, notamment en matière d’identité numérique. Elles pourront se saisir des briques mises à leur disposition. En particulier, FranceConnect a vocation à être mis en place sur les portails de services aux citoyens municipaux, départementaux, régionaux… De même, elles pourront tirer profit pour leurs propres projets des solutions numériques que nous labelliserons.
La mutualisation de solutions est une autre dimension vers laquelle nous attirons les collectivités territoriales et les accompagnons. À travers l’initiative DCANT pilotée par la DINSIC, nous identifions et aidons à propager les bonnes pratiques et les développements réalisés dans une collectivité auprès d’autres collectivités. Les Startups de territoires que nous mettons en place via notre réseau d’incubateurs Beta.gouv.fr ont tout intérêt à profiter à d’autres territoires rencontrant la même problématique. Nous travaillons à leur essaimage.
Le Graal serait évidemment que les collectivités contribuent et s’investissent au côté de l’État pour réaliser des produits d’intérêt national qui puissent servir à tous. Nous n’y sommes pas encore, mais j’ai bon espoir qu’on y parvienne.
Quel est le rôle de la DINSIC dans TECH.GOUV ?
NBH - De manière plus générale, dans le domaine du numérique public, la DINSIC joue à la fois un rôle de chef d’orchestre, un rôle de facilitateur – l’un de nos métiers consiste à aider les ministères à réussir leurs propres projets numériques – et un rôle d’opérateur de services, par exemple en matière de réseau ou d’outils numériques à destination des agents, comme la messagerie instantanée Tchap.
Les projets prioritaires sont dans TECH.GOUV, mais toute l’activité de la DINSIC ne se résume pas à TECH.GOUV. À côté de cela, la DINSIC continuera à promouvoir l’open data et la maîtrise des données, à opérer le réseau interministériel de l’État, à développer des produits, à animer les systèmes d’information territoriaux et à contrôler l’avancement des grands projets de l’État.